C’est il y a déjà plusieurs semaines que le Québec apprenait une bien triste nouvelle: notre belle Anick Lemay est atteinte d’un vilain cancer du sein.

Une chose est certaine, Anick Lemay tenait à ce que sa bataille soit son histoire à elle. Elle ne voulait pas que les médias se fassent et propagent une fausse version de sa maladie. C’est pourquoi depuis le tout début, elle publie elle-même des textes percutants sur le site  Urbania.

Du diagnostic à la double mastectomie, en passant par les traitements de chimiothérapie, la belle Anick Lemay raconte toute son histoire dans de magnifiques textes, très difficile à lire mais aussi tellement beaux. Aujourd’hui, elle est a mi-chemin dans ses traitements de chimiothérapie, et elle a choisi de nous en jaser un peu. Voici, encore une fois, son texte bouleversant mais tellement important:

TROIS FOIS LA MESURE DE L’AMOUR

C’est la canicule. J’ai reçu mon dernier jus rouge il y a 5 jours. C’est la première fois que je sors de ma maison climatisée. J’ai encore le cœur au bord des lèvres, mais je suis plus forte que la veille. J’ai rendez-vous avec ma nouvelle Doc, une radio-oncologue. Elle va s’ajouter à la trallée de belles femmes qui prennent soin de moi depuis le début de cette… aventure. On va dire ça de même. La semaine prochaine, je vais expérimenter le nouveau jus qui va conclure la run de chimio. Plus que quatre traitements. Je suis à mi-chemin! Timing idéal pour en apprendre un peu plus sur ce qui m’attend à l’automne. Ça me fait du bien de me projeter dans l’avenir. Ça fait trois mois que je suis dans l’instant plus que présent et, quoi que ça puisse paraitre ben zen, je te jure que ça peut parfois être lourd…

Je stationne mon bolide où il ne faut pas (as usual), sur les quatre flashers, dans un des stationnements de la Cité de la Santé. J’y vais au pif, je n’ai jamais mis les pieds ici. Comme y’a tout le temps ben du nouveau dans ma vie depuis le mois de mars, j’ai appris à me laisser guider par mon instinct. Je monte les escaliers extérieurs et devant moi, à travers les vapeurs de chaleur qui montent du béton, un couple s’avance dans un halo multicolore d’eau évaporée. Lui, plus grand qu’elle, costaud et droit. Elle, toute menue, avec sur la tête LE foulard qui dit tout. Mon pif a eu raison, c’est l’aile d’oncologie.

Te dire cette rencontre. Je leur ai demandé mon chemin et j’ai eu droit à leur histoire. Ils étaient si doux, si beaux, si soudés. L’amour et l’admiration dans son regard à lui, pendant qu’elle se racontait. L’amour et l’humilité dans ses gestes à elle, quand il me disait la force de sa femme. Je les aurais écoutés tout l’après-midi sur le béton brûlant, tellement ça respirait l’amour profond. Je suis une lover. J’aime les gens qui s’aiment. Tellement que j’en ai oublié mes nausées. Je leur ai laissé des petits bonbons à la menthe, qui font du bien quand tout goûte le métal, cadeau d’une de mes fées. J’espère qu’ils se reconnaitront. Parce que si c’est vrai que la maladie mesure l’amour, il s’écrit ici avec la grandeur des amours infinis.

Quand tu t’assois dans les gros fauteuils bleus de chimio, tu entres dans un autre univers. Comme si tu devenais un mixte de Wonder Woman et d’Alice au pays des merveilles. Parce qu’avant de pouvoir poser tes fesses là, tu as traversé le dernier traitement, les effets secondaires, les injections, la prise de sang, l’attente des résultats, le report ou l’heure du prochain. Quand tu poses tes fesses là, tu es forte et vulnérable à la fois. C’est un beau mixte, je trouve. Ça t’ouvre aux autres qui se sont rendus jusque-là eux aussi, cette journée-là, dans cette salle-là. Il y a cette communion improbable dans la tourmente. Le même bateau dans la tempête. Comme un catamaran dans l’sud avec des inconnus. C’est juste moins festif. Juste plus vrai

Imagine des yeux doux, une bouche ourlée et un nez fin. Dans un beau visage. Je ne connaitrai probablement jamais sa chevelure, mais je l’imagine flamboyante. Ce qui frappe en premier, c’est la douceur de son regard. Comme un apaisement. On s’est croisées à une prise de sang et on a abouti sur un banc à l’extérieur de l’hôpital. Elle termine ses traitements demain. C’est le moment ou jamais de la connaître un peu. Elle m’intrigue.

« Si y’avait juste le cancer, ce serait pas si pire… »

Silence. Ses yeux se sont baissés. Ce que j’avais pris pour de la douceur était en fait de la douleur. Son amoureux l’a quitté cinq jours après le diagnostic. L’annonce du cancer lui a fait prendre conscience qu’il avait envie de vivre «autre chose». Maintenant. Avec d’autres gens. Voyager. Être libre d’attaches. Ça fait plusieurs mois qu’il se questionne sans arriver à lui en parler parce qu’ils sont bien (quand même) ensemble, mais que là, il ne peut pas être celui qu’elle voudrait qu’il soit…

Il est déjà ailleurs.

Elle, n’a rien vu venir.

C’est vraiment un mauvais timing, il en est conscient, mais… Son besoin à lui est plus grand le crabe qui la ronge elle.

Après le choc du cancer, l’abandon est dévastateur.

Elle ne pleure pas. Elle se déverse. Je la prends dans mes bras. Elle a une odeur de sucre en poudre.

Les blessures d’âme sont pires que celle du corps.

Parce qu’il n’y a que le temps qui peut soigner un cœur.

Et quand t’es malade, le temps s’étire longtemps…

Si la maladie mesure l’amour, il s’écrit ici au Je, Me, Moi.

Bertrand aimait Jeanine. Jeanine aimait Bertrand. Au début des années 80, ils avaient la jeune quarantaine, trois beaux enfants et envisageaient leur Liberté 55 avec ravissement.

Un matin, Jeanine a trouvé une bosse dans son sein. Opération, chimio, radio. On est au début des années 80, oublie pas. Le médecin, un ami de la famille, dit en secret à Bertrand qu’il pourra traiter Jeanine environ 5 ans. Pas plus. Peut-être un peu moins. Bertrand a pris ces cinq années-là pour ce qu’elles étaient : le temps qu’il reste.

Ils en ont profité autant qu’ils ont pu.

Ils se sont aimés.

Jusqu’à la dernière goutte.

Jeanine est partie après quatre ans et demi. Bertrand a maintenant 82 ans. Il a connu deux autres femmes, mais ça n’a pas marché. Quand il parle de Jeanine, j’ai l’impression d’entendre le déferlement cristallin d’une eau de source.

Si la maladie mesure l’amour, il s’écrit ici avec le charme et la nostalgie du passé.

Demain, on me branche sur la deuxième partie de mes traitements de chimio. J’ai fait ça comme une championne, mes plaquettes se sont toutes refaites en deux semaines top chrono! Pas peu fière, la fille… 🙂

Quand je suis allée rencontrer la pharmacienne en oncologie (une autre belle femme qui dit des mots qui valent un million avec l’aisance de Guy Nadon en Cyrano), je suis un peu tombée en bas de ma chaise. Ma prochaine chimio est faite de produits naturels… Le paclitaxel (chimio) est extrait initialement des aiguilles de l’if de l’ouest, un conifère! Elle est mélangée au cremophor qui lui, attache ta tuque, est un mélange d’huile de ricin et d’oxyde d’éthylène. Des épines d’arbre et de l’huile de ricin… ça résonne l’enfance et les remèdes de ma grand-mère.

Ça me donne envie d’être naïve et un brin Jean-Marc Chaput. Me semble que ça va mieux passer que le jus rouge… Me semble que j’ai déjà moins mal au cœur. Bon, je vais perdre mes cils et mes sourcils. Le bout de mes doigts et de mes orteils va devenir engourdi. Je vais peut-être avoir mal au corps, mais (parce qu’il y en a toujours)… J’ai le feeling que ça va aller mieux. On gage-tu?

Sur la photo, mon beau Bertrand.

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Photo: Urbania

Source: Urbania