Les temps sont difficiles ces jours-ci pour le comédien Patrice Godin…

C’est samedi qu’on apprenait que Serge Dessureault perdait la vie alors qu’il tentait d’escalader le K2, deuxième plus haut sommet du monde. L’homme était extrêmement apprécié de tous les pompiers du Québec et plusieurs pleurent son départ.

Patrice Godin était un grand ami de Serge, la nouvelle de son décès a donc été très difficile pour le comédien. Patrice a choisi de rendre hommage à son ami en publiant un texte bouleversant sur son site internet. Il est tellement triste et beau à la fois, à lire!

AU REVOIR, MON AMI

Ce que j’aurais aimé écrire autre chose aujourd’hui.

Hier. 7 juillet 2018. Un samedi matin splendide à Boucherville. Un de ces matins doux avec une légère brise, juste après une semaine de canicule.

D’habitude, je me lève tôt. Même si je ne travaille pas à un roman, que je n’ai pas de texte à apprendre, ou que je ne vais pas courir. J’aime me lever à l’aube, voilà tout. Avoir l’impression que le jour m’appartient. Mais ce matin, j’ai dormi. Un peu. Jusqu’à 7:40. Un genre de grasse matinée. Enfin, mon genre de grasse matinée. Bref. J’imagine que j’en avais besoin.

Je me suis glissé hors du lit, j’ai pris un café avec ma blonde. Je lui ai dit que j’irais au gym au lieu d’aller courir à cause de ma blessure. Une blessure, tu sais bien, rien de grave, mais qui va, qui vient, qui m’oblige à plus de repos que je ne le souhaiterais. Alors, aller au gym par une si belle matinée d’été. Tu parles! C’était en plein le genre de matin où on aurait pu se rencontrer par hasard au Mont St-Bruno et courir une belle poignée de kilomètres ensemble.

Je me suis préparé un shake. Je n’ai pas épluché Facebook ni Twitter ni La Presse sur le web, ce que je fais pratiquement tous les jours. J’ai bu mon café, j’ai traîné un peu. J’avais la flegme, mais j’ai fini par grimper sur mon vélo. J’ai filé au gym.

C’est en arrivant là-bas, autour de 9 heures, que mon iPhone a vibré. Je venais de cadenasser mon vélo, il faisait bon. J’ai regardé de quoi il s’agissait.

Et c’est là. C’est là que j’ai appris la nouvelle. Ton accident. Merde, un accident…

Ton décès.

J’ai appris que tu étais mort là-bas, à la frontière du Pakistan et de la Chine, en tentant d’atteindre le sommet du K2. Ton équipe et toi étiez encore en phase d’acclimatation. Du camp 2, vous étiez en route vers le camp 3.

Tu as fait une chute.

Ça n’avait aucun sens pour moi.

J’ai reçu ça comme un coup au corps. Ça m’a fait plier les genoux. Je me suis assis sur le trottoir. J’avais plus de souffle. Je tremblais de partout. Tout s’est enveloppé de brouillard.

Tout de suite, j’ai pensé à ta blonde, à tes filles. Je voulais pas y croire. Non. Pas ça. Pas toi.

 » Dis-moi que c’est pas vrai!  »

J’ai dû te demander ça une dizaine de fois, à voix basse, comme si j’espérais une réponse de ta part.

De réponse, il n’y en aura pas.

Je suis resté là sans bouger de longues minutes. J’ai pleuré.

Tu étais de ces amis comme on en rencontre peu dans une vie. On était pas très proche, pourtant, chaque fois qu’on se voyait, ça coulait de source. C’était comme si on s’était quitté la veille. On pouvait reprendre la conversation où on l’avait laissée comme si de rien n’était. C’était pas compliqué. On jasait, on courrait, on riait. On se parlait de nos rêves. Des amours de nos vies qui remplissaient nos cœurs, des projets d’aventures qui débordaient dans nos têtes. Je te parlais de mes courses de fous, tu me racontais tes expéditions. Et s’il y a une chose, tu étais intransigeant lorsqu’il était question de sécurité. Tu me remontais le moral lorsque je te parlais de mes abandons. Tu me disais:  » Faut que tu écoutes ton corps, niaise pas avec ça. Si quelque chose ne fonctionne pas comme ça devrait, arrête avant d’empirer la situation. Tu pourras toujours te reprendre. Ne mets pas ta santé ni ta sécurité en jeu.  » T’avais raison. Et je crois pas me tromper en disant que tu agissais de la même façon. Tu savais faire la différence entre repousser ses limites et aller trop loin.

Tu me parlais de ton métier, parfois. Mais seulement quand je te posais des questions. J’admirais ce que tu faisais comme travail. Pompier. Capitaine, tu étais. Au service des gens, des autres, de la communauté. Des connaissances communes me parlaient de toi. J’y sentais toujours un immense respect.

À mes yeux, tu étais un grand. Tu le seras à jamais.

On s’est joyeusement pinté aussi, soyons franc. À Québec. L’avant-veille du Pentathlon des Neiges, en février 2017. On s’est solidement dévissé la tête, avec Patrick H. On a rigolé en descendant de grands verres de blondes et de rousses. Après, on a zigzagué pas mal en marchant sur Grande-Allée. On voulait pas rentrer à l’hôtel, mais fallait bien, parce que tout fermait. Ça faisait un bail que je ne m’étais pas soûlé de la sorte et tu sais quoi? C’était merveilleux. J’étais là, avec toi et Pat et on pleurait de rire pour rien et c’était juste parfait.

Le lendemain, quand il a fallu se rendre à la conférence de presse et s’entraîner devant les médias, c’était, disons, un peu plus douloureux d’être debout et de fonctionner, mais ça nous empêchait pas d’avoir le sourire fendu jusqu’aux oreilles.

On s’est juste entraîné moins longtemps qu’à l’habitude.

On devait aller courir ensemble ce printemps. J’ai relu nos derniers messages. J’ai réalisé que je n’ai pas donné suite à l’un d’eux concernant une sortie matinale au Mont St-Bruno. Bordel. Je m’en veux. Je me sens idiot. Je pourrai pas rattraper ça.

La dernière fois qu’on a couru ensemble, c’était au début de l’hiver. Je suis allé te rejoindre chez toi. On a couru dans la neige et la glace, et tu m’as invité à prendre un café, après.

On s’est revu fin avril, si je me trompe pas, pour parler de notre collaboration avec Northman/JustRun.

Et là, je te reverrai plus. Je pense aux occasions ratées. Ça fait mal.

Tu sais quoi? Souvent, quand je courais au Mont St-Bruno, je pensais à toi. J’espérais t’y croiser. C’était tamontagne plus que la mienne, d’une certaine façon. C’est là qu’on s’est parlé la première fois, un matin comme aujourd’hui…

Maintenant, quand j’irai, je penserai toujours à toi.

Et tu pourras venir m’y rejoindre en silence quand tu voudras.

Tu vas me manquer.

J’écris ça et après, je vais aller courir dans les rues près de chez moi. En ton honneur. En ta mémoire. Par amitié.

Je me fous de ma petite blessure. Elle ne compte même pas.

Tu étais un homme d’exception, Serge.

J’aurais bien aimé te le dire en vrai. Je te le dis, là. Faute de mieux.

J’espère que le vent emportera mes paroles jusqu’à toi.

Je te garde dans mon cœur. Pour toujours.

Au revoir, mon ami.

Photo: Patrice Godin